Djebar Baroudi en mémoire

Vous trouverez ici une version illustrée de mon discours commémoratif prononcé à l'Université Aalto, Département de génie civil le 13 avril 2023.

Chers ami(e)s, chers collègues,
Je vais faire la lumière sur la vie de Djebar, en particulier sur les points qui vous sont peut-être inconnus, ainsi que sur la manière dont nous nous sommes rencontrés et dont nos vies se sont liées.

Djebar est né le 1er février 1959 dans la région de Kabylie, dans le nord de l'Algérie. Il avait huit frères et sœurs, Djebar étant l'avant-dernier.

Djebar a obtenu son diplôme au lycée Émir Abdelkader d'Alger en 1979. Il était très fier de son école. Deux de ses élèves ont reçu le prix Nobel : Albert Camus pour le prix de littérature en 1957 et Claude Cohen-Tannoudji pour le prix de physique en 1997.

Il a commencé ses études universitaires en ingénierie structurelle en 1979 à Kiev, à l'époque où l'Ukraine faisait partie de l'Union soviétique. C'est là qu'il a rencontré sa future épouse Sinikka, et ce qui l'a poussé à aller en Finlande en 1983. Il est entré à l'université de technologie d'Helsinki en 1984. Selon lui, l'examen d'entrée a été le plus difficile de ses études universitaires en raison de sa connaissance insuffisante de la langue finnoise à l'époque.

J'ai rencontré Djebar pour la première fois en 1985, alors qu'il suivait le cours « Mécanique des structures I » et que j'étais assistant. Ce fut presque un coup de foudre. Il été évident qu'il n'avait pas besoin d'instructions ou de conseils de ma part sur le sujet, puisqu’il le maîtrisait déjà. Plus tard, je lui ai demandé pourquoi il assistait toujours aux cours et aux exercices alors qu'il connaissait déjà bien le sujet. Il m'a répondu qu'il voulait apprendre la langue et le vocabulaire professionnel en Finnois. Après avoir obtenu mon diplôme au printemps 1986, je suis devenu assistant de recherche à l'Académie Finlandaise. Le professeur Martti Mikkola m'a alors demandé s'il y avait des étudiants compétents qui pourraient prendre mon poste d'assistant. J'ai immédiatement recommandé Djebar qui, en tant que nouvel assistant, a hérité de mes cours. Ce fut la première transformation.

Photo prise probablement en 1986.

Djebar a obtenu sa maîtrise en sciences de l'ingénieur avec les meilleures notes possibles au printemps 1990. Le sujet de sa thèse était « L'analyse mixte par éléments finis des solides », dans laquelle il a mis en œuvre une formulation mixte pour les corps élastiques bidimensionnels et tridimensionnels. Juha Paavola était alors le professeur intérimaire, Martti ayant passé cette année-là à développer une théorie du sol gelé avec le professeur Michel Fremond à l'Ecole des Ponts et Chaussées de Paris. Djebar a obtenu une bourse de 4000 FIM (N.D.L.R. mark finlandais) du RIL (N.D.L.R. association Finlandaise des ingénieurs en constructions) pour des études bien menées. Avant l’obtention de son diplôme, Djebar avait déjà rejoint le groupe de recherche d'ingénierie incendie de VTT (N.D.L.R. Centre de recherche technique de Finlande) dirigé par le professeur Matti Kokkala. Le célèbre diagramme Baroudi-Kokkala date de cette période, diagramme à partir duquel le temps d'allumage peut être estimé en fonction de la puissance thermique caractéristique. À cette époque, Djebar travaillait en étroite collaboration avec Mr. Jukka Myllymäki. Pour notre plus grand plaisir, Djebar et Jukka nous rendaient visite presque tous les jours et c’est ainsi que le surnom de « Newton et Raphson » à vu le jour. Pendant la période passée au laboratoire de technologie incendies, Djebar s'est intéressé au monde des problèmes inverses. Il a également travaillé avec deux célèbres mathématiciens finlandais : Jari Kaipio et Erkki Somersalo. À l'époque, Kaipio était alors professeur à l'université de Kuopio et Somersalo à l'université de technologie d'Helsinki.

En 2004, Djebar s'est installé à Lyon, en France. Il a travaillé à l'INSA de Lyon de 2004 à 2008 et au CEMAGREF de Grenoble (IRSTEA). Son principal sujet de recherche était lié aux avalanches, pour lequel il a développé des techniques d'analyse de mesures et des modèles mathématiques pour déterminer les charges exercées sur les structures situées sur la trajectoire d'une avalanche. Cependant, pendant son séjour en France, Djebar a soutenu son doctorat à l'université de technologie d'Helsinki en 2007 sur un sujet lié à ses recherches dans le laboratoire de technologie incendies de VTT (N.D.L.R. Centre de recherche technique de Finlande). Pour sa thèse, il a reçu le prix de la fondation Oskari-Vilamo pour la meilleure thèse dans le domaine du génie civil.

Avant la soutenance de thèse


Lectio Praecursoria (diapositives en pdf)




Djebar défendant sa thèse, l'opposant Professeur Ulf Wickström.




Newton (Jukka) et Raphson (Djebar).




Café après la soutenance de thèse, Djebar avec le Custos Professeur Juha Paavola.




De gauche à droite Dr Tuula Hakkarainen, Professeur Matti Kokkala, Djebar, Professeur Juha Paavola.



Djebar est retourné à son alma mater en 2010, bien que celle-ci ait changé de nom pour devenir l'Université Aalto. Juha Paavola a joué un rôle clé dans le retour de Djebar. Djebar a mis l'accent sur l'enseignement, en particulier sur l'illustration du comportement de différentes structures. Ses diapositives de cours étaient artistiques et témoignaient également d'une profonde compréhension du sujet et de son lien avec un contexte plus large.

Djebar était très apprécié des étudiants. Il avait toujours le temps de prodiguer des conseils et de discuter, souvent près du tableau à craie dans la salle de pause du département de génie civil. Les étudiants disait de lui et de ses cours: conférencier inspirant, cours motivants, un enseignant toujours prêt à aider, excellent choix de livre d'étude, etc.




Athanasios est arrivé à l'université Aalto en 2018. En lui Djebar a trouvé l'âme sœur immédiatement. J'étais presque jaloux d'Athanasios quand je les voyais discuter à chaque fois que je les rencontrais au département. Djebar, m'as-tu oublié ? Bien sûr, ce n'était pas le cas.

Avant d'en venir à des choses plus personnelles, je suis attristé qu'il n'ait pas eu le respect qu'il méritait de la part des dirigeants de l’école d’Ingénieur. Respect qu'il aurait mérité compte tenu de ses qualifications scientifiques, comparables à celles d'un professeur, et de son dévouement à l'enseignement et à son travail en général.

Outre ses solides compétences en mathématiques, Djebar était particulièrement doué sur le plan linguistique. En plus de sa langue maternelle, le kabili, il maîtrisait le berbère, le français, l'arabe, le russe, le finnois et bien sûr la lingua franca de la science d'aujourd'hui, l'anglais.

Le sport préféré de Djebar était la natation. Je comprends qu'il soit naturel que sous le soleil brûlant de l'Afrique, rien ne rafraîchit mieux qu’une baignade dans la mer Méditerranée. En Finlande, il a dû se contenter de nager dans des piscines. Auparavant, l'un de ses sports préférés était le karaté. En 2000, Djebar a reçu une médaille de bronze de la Fédération finlandaise de karaté pour sa participation active aux d'entraînement et d'encadrement des jeunes.

Djebar faisait souvent plaisir à ses amis en réalisant d'ingénieux collages de photos. Il était très visuel et doué pour le dessin. Il passait beaucoup de temps à essayer d'illustrer le comportement des structures aux élèves, il fabriquait lui-même des modèles de démonstration et modifiait ceux qui avaient été réalisés par notre ancien mécanicien de laboratoire, Timo Jamalainen. Pendant les périodes de cours il les avait souvent dans son bureau. Son bureau était également rempli de belles notes, de collages de photos. « Quel atelier artistique », a noté un étudiant en architecture en entrant un jour dans son bureau.

Nous avons également fait de nombreuses excursions pour visiter des expositions d'art, souvent en compagnie d'Emma et d'Athanasios. Chaque été, nous avions l’habitude de nous promenés à travers la zone naturelle de Laajalahti (N.D.L.R. qui borde Otaniemi où se trouve le campus de l’Université Aalto) jusqu'à Tarvaspää, en visitant l'atelier de Gallen-Kallela et en prenant des rafraîchissements au restaurant dans le jardin, avec une belle vue sur la baie de la zone marine de Laajalahti. Le long de la promenade, nous avons salué un groupe de vaches et pris des photos et des vidéos. Pendant l'une de ces promenades, en regardant les vaches dans le champ, Djebar a inventé un nouveau nom pour Otaniemi : Meuhxford. Le lendemain, nous avons reçu un email de Djebar contenant un nouveau collage de photos : une photo du bâtiment principal de l'Université d'Oxford et des vaches, l'une d'entre elles ayant le sac à main d'Emma accroché à sa corne. Ainsi, en l'honneur de Djebar, l'université Aalto devrait être renommée Université de Meuhxford en finnois Möötaniemi yliopisto.






Un autre voyage mémorable a eu lieu sur la route culturelle de Tuusula, avec des visites entre autres à Halosenniemi et Ainola. Après la part culturelle de notre voyage, boire un verre de champagne à la terrasse de Gustavelund, une chaude journée, le soleil qui brille, eh bien, vous pouvez imaginer que la vie était fantastique à l'époque.




Une autre caractéristique de Djebar etait que le temps n'existe pas pour lui. Il est si étonnant qu'il ait été ponctuel dans ses cours, qu'il n'ait jamais été en retard dans la salle de classe. Mais pendant son temps libre, c'était différent. Une fois, Juha avait invité des collègues à venir visiter son cottage. Il fut convenu que Jarkko passerait prendre Djebar en voiture à Meuhxford (N.D.L.R : où se trouve le département de Génie Civil). Djebar est allé nager et Jarkko l'a attendu quelques heures au département avant de pouvoir partir. Malheureusement, je n'ai pas pu participer à cet événement. Il serait intéressant de voir la réaction de Juha lorsque Djebar et Jarkko sont arrivés.

J'ai maintenant une humble suggestion à faire aux chefs du département de Génie Civil Leena et Heidi. S'il vous plaît, pouvez-vous commémorer Djebar en plaçant une plaque commémorative à côté du tableau à craie dans la salle de pause du département de Génie Civil. J’espère que vous jeunes chercheurs respecterez l'héritage de Djebar en utilisant souvent le tableau à craie, car selon Djebar, et aussi selon moi, discuter de sujets scientifiques à côté d'un tableau avec un morceau de craie à portée en main est le meilleur moyen pour changer les idées et développer de nouvelles théories et de nouveaux modèles.

Résoudre un problème de viscoélasticité.

Un tableau à craie peut aussi être un lieu de divertissement. Nous discutions un jour que les élèves d'aujourd'hui écrivent mal les lettres Grecques. Nous avons alors eu l'idée que nous pourrions mieux écrire les lettres de l’alphabet grecque en plaçant un morceau de craie entre nos orteils. Et bien, ça a marché, et je pense que que nos lettres écrites avec les orteils sont meilleures que celles qu'un étudiant peut écrire à la main.


Enseignement du grec et de l'arabe avec Lauri et Athanasios.



Emma enseigne la chimie à Ilona


Djebar a trouvé en Sinikka un égal intellectuel. Voyager à l'étranger n'est pas un problème pour cette famille. Sinikka parle dix langues différentes. Elle connaît également LaTeX. Djebar m'a dit un jour que Sinikka avait commencé à utiliser LaTeX et qu'au bout d'une semaine, elle le connaissait mieux que lui. Chez leur fille Ilona, je vois de l'énergie, de l'inspiration et de la curiosité pour révéler les secrets de la nature, tout comme chez son papa. En outre, Ilona est une excellente dessinatrice, tout comme son papa. Je serais plus qu'heureux si j'avais la possibilité de suivre ton chemin à l'avenir.

Je connaissais Djebar depuis près de 38 ans. Nous avions beaucoup de points communs dans nos caractères, nous sommes également différents à bien des égards, ce qui s'est avéré crucial pour le développement de notre pensée et l'approfondissement de notre amitié. On peut donc dire qu'il s'agissait d'un mariage parfait.

En guise de mot de la fin, je dirais - La sagesse de Djebar restera à jamais dans nos pensées, son attitude dans nos actions et son souvenir dans nos cœurs. Merci, cher ami, pour ces moments fantastiques que nous avons passés en ta compagnie et qui ont enrichi nos vies. Merci Djebar !



Quelques collages de Djebar.



C'est la dernière photo que j'ai de Djebar, qui est prise après la conférence d'Andrea le 29 mars 2023. Notez la modification apportée par Djebar à la photo. Djebar est décédé deux jours plus tard, le 31 mars.



Tombe de Djebar réalisée par ses frères. Le village derrière est Boukhalfa. Photo Rabah Baroudi.
Traduit par Emma.
Reijo Kouhia, avril 8, 2025.